Comments – Polytechnique Montréal, Comité d'éthique de la recherche

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Montréal, le 4 octobre 2021

Secrétariat sur la conduite responsable de la recherche
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Ottawa (Ontario)
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Objet: Commentaires – Consultation relative à certaines lignes directrices liées à l’Énoncé de politique des trois Conseils (2018)

Mesdames, Messieurs,

Par la présente, je vous transmets nos commentaires en regard de la présente consultation concernant les propositions de lignes directrices liées à l’Énoncé de politique des trois Conseils (2018). À cet égard, il importe de souligner que cet avis porte sur 1) l’évaluation de projets de recherche relevant de plusieurs autorités et 2) le consentement général à la recherche. L’évaluation de la recherche avec des lignées cellulaires et la recherche avec des cellules souches totipotentes ne seront pas abordés dans le cadre du présent avis puisque ces volets de la consultation ne touchent qu’à des enjeux marginaux par rapport aux activités de recherche ayant cours sous nos auspices ou notre autorité.

I – Evaluation de projets de recherche relevant de plusieurs autorites

I-a – Le cas des universités québécoises

Nous saluons l’approche multijudirictionnelle proposée qui s’apparente à celle déployée entre les universités québécoises depuis 2011 et qui s’est formalisée à travers une entente interinstitutionnelle. Dans les faits, cette entente permet la reconnaissance de l’approbation éthique du CER de l’établissement du chercheur principal quand le projet de recherche est à risque minimal. L’entente est présentement en révision afin d’en étudier la portée, notamment afin d’y inclure les projets menés par des étudiants ou du personnel et les projets dont le niveau de risque se situerait au-dessus du seuil du risque minimal.

Dans la mise en œuvre de cette entente de reconnaissance, il est ressorti que la communication entre les CER était essentielle à l’atteinte des objectifs constitutifs de cette entente. Malheureusement, la solution prisée par le GER mise davantage sur une procédure administrative qui élude l’aspect collaboratif qui peut s’avérer plus efficace pour accompagner les équipes de recherche impliquées dans un projet de recherche multijuridictionnel. En effet, il s’avère que plusieurs comités d’éthique de la recherche se réservent de contacter leurs homologues afin de faciliter le processus d’évaluation de manière ad hoc (p. ex. pour déterminer quel CER procèdera à l’évaluation en première instance) en évoquant leurs obligations de confidentialité ou leur souveraineté décisionnelle; ce qui rend le processus d’évaluation laborieux et kafkaïen pour les équipes de recherche. Autrement dit, la solution proposée par le GER fait abstraction des enjeux liées à la collaboration, au dialogue et à l’ouverture entre les établissements au moment d’évaluer un projet réalisé sous leurs auspices et leur autorité. Cette avenue pourrait s’avérer une alternative constructive visant à résoudre les difficultés que les lignes directrices proposées cherchent à résoudre.

Nous sommes d’avis que toute reconnaissance d’approbation éthique doit permettre aux parties impliquées d’exercer leur devoir de diligence sur les activités de recherche et, ainsi, faire preuve d’une confiance prudente envers leurs homologues. Nous saluons la proposition qui repose sur l’approche proportionnelle d’évaluation éthique qui permette de moduler les modalités d’évaluation des projets de recherche dans le contexte de projet multijuridictionnel en évaluant, par exemple, de manière déléguée une décision rendue par un autre comité.

Bien que cette approche proportionnelle prescrive généralement deux modalités d’évaluation (Projet < risque minimal > évaluation déléguée, Projet > risque minimal > évaluation plénière), l’évaluation déléguée est, de facto, elle-même modulable (cf. article 6.12, application, 8e paragraphe). Il suffirait d’y inclure d’autres cas de figure que ceux prévus. Nous estimons raisonnable qu’un projet approuvé par un établissement admissible puisse être évalué de manière déléguée par un membre du CER ou du personnel administratifFootnote 1 qui fera reposer son analyse sur le devoir de diligence raisonnable (i.e. vérification prudente et vigilante) de l’établissement sans pour autant basculer dans une évaluation exhaustive.

En somme, nous insistons sur le dialogue et les échanges entre les CER avant, pendant et après l’évaluation éthique d’un projet. Nous sommes d’avis que les lignes directrices proposées devraient prévoir l’espace nécessaire pour que les établissements exercent leur devoir de diligence, notamment quand il en va des engagements pris envers les personnes participant à la recherche.

En outre, soulignons au passage des certains enjeux qui complexifient un processus de reconnaissance qui ne serait qu’administratif et étendu à l’échelle du Canada, soit : les contrats d’assurance responsabilité, la variabilité de l’âge de la majorité (cf. exigences en matière de consentement des mineurs et majeurs inaptes), les lois d’accès et de protection des renseignements personnels, la diversité culturelle, linguistique et socio-économique entre les provinces – et les villes.

I-b – Le cas de l’interaction avec des établissements assujettis à d’autres normes

Au Québec, les établissements du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) peuvent conclure une entente d’affiliation avec des instutitions d’enseignement et de recherche en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Cette entente prévoit des dispositions relatives à la reconnaissance des approbations éthiques émises par un établissement de soin par son université affiliée. Or, la reconnaissance n’est pas bilatérale et un CER du RSSS ne peut pas reconnaître l’approbation éthique émise par le CER de son université. Ce faisant, les établissements du réseau de la santé et des services sociaux ont tendance à limiter l’évaluation éthique aux activités ayant cours sous leurs auspices et par leur personnel; excluant les activités extra-muros. Comment les lignes directrices proposées permettront-elles de résoudre ce nœud gordien?

Qui plus est, les CER du RSSS sont assujettis à des normes spécifiques dictées par le Ministère de la santé et des services sociaux, le Code civil du Québec et la Direction des assurances du réseau de la santé et des services sociaux (DARSSS) qui complexifient l’exercice d’une reconnaissance d’approbation éthique émise par un établissement universitaire.

I-c – La question de la couverture en assurance

L’approche préconisée par le GER risque-t-elle de soulever des enjeux de couverture ou d’exclusion de couverture par les assureurs des établissements admissibles aux fonds des organismes?

Il serait intéressant de vérifier si les multiples assureurs couvrant les activités de recherche menées par les établissements admissibles à recevoir des fonds de recherche ont la même compréhension du partage de la responsabilité et des critères qualifiant une activité de recherche pour la couverture en assurance détenue par l’établissement. Cette précaution semble importante afin d’éviter que nous soyons face à des trous de couverture susceptibles d’exposer les établissements et les personnes à un risque financier substantiel advenant qu’une personne participant à la recherche subisse un préjudice causé par une erreur, une négligence ou une faute.

Déjà, la question de la couverture en assurance soulève son lot d’enjeux complexes dans le cadre des activités de recherche menées par des chercheurs universitaires au Québec sous les auspices des établissements du réseau de la santé et des services sociaux. Par exemple, l’assureur du RSSS couvre uniquement les activités de recherche lorsqu’un établissement du même réseau agit à titre de « sponsor »Footnote 2 alors que les assurances des universités couvrent normalement les personnes à l’emploi des universités ou y étudiant, peu importe les activités menées, leurs lieux de réalisation et qui agit comme « sponsor »Footnote 3. Cette situation peut créer un trou dans la couverture quand, à titre d’exemple, un partenaire industriel agit comme sponsor d’une activité de recherche menée en partie sous les auspices de l’université, mais approuvée au chapitre de l’éthique par un établissement du réseau de la santé qui lui serait affilié. Afin de sortir de cette impasse et combler les trous de couverture provoqués par la proposition de lignes directrices, nous soulevons l’idée que les organismes subventionnaires créent un fonds d’indemnisation pancanadien permettant de couvrir les établissements, les personnes menant des activités de recherche et celles participant à la recherche quand les autres régimes d’assurance ne peuvent intervenir.

I-d – Commentaires spécifiques relatifs à la proposition de lignes directrices

Outre les enjeux susmentionnés concernant l’importance du dialogue entre les CER, le devoir de diligence, la confiance prudente et les enjeux liés à la couverture en assurance, nous avons les commentaires suivants au sujet de la proposition de lignes directrices visant la reconnaissance pancanadienne des approbations éthiques :

  1. (Lignes 45-46) Il serait intéressant de préciser les sources soutenant cette affirmation prudente. A contrario, il serait possible d’argumenter que la diversification des points de vue permet d’accroître la robustesse des conclusions d’une évaluation éthique; à l’instar des approches en recherche qualitative.
  2. (Lignes 94-120) Dans le contexte d’un programme de recherche composé de plusieurs projets de recherche, comment cette proposition s’articulera-t-elle? Comment s'assurer que les membres de l'équipe ne présument pas que l’une des approbations éthiques obtenues couvrent leurs activités réalisées dans le cadre d’un autre projet? Est-ce qu’il y a un risque que le chercheur principal provoque par défaut l’évaluation éthique par son CER, même si l’activité de recherche est menée par un sous-groupe de collaborateurs. Ces deux questions sont présentement un enjeu et la proposition ne semble pas y apporter de solution.
  3. (Lignes 116 et suiv.) Il faudrait prévoir un registre national des personnes contacts avec des coordonnées pérennes non-identificatoires (p. ex. ethique@institution.ca) afin que nous puissions échanger entre CER. Il est désolant de constater qu’avec l’introduction des solutions de gestion informatique des projets de recherche, plusieurs CER retirent leurs coordonnées de leur site Web; ce qui nuit à la collaboration interinstitutionnelle.
  4. (Lignes 140-148) Il serait prudent d’ajouter les enjeux associés à la gestion des données de rechercheFootnote 4 et aux prescriptions visant les données biométriques sensibles en termes de sécurité nationaleFootnote 5.
  5. (Lignes 165-169) Est-il nécessaire de prescrire un délai pour l’évaluation éthique du projet? Cette prescription pourrait placer certains CER d’établissements dans une situation difficile. Nous recommandons que l’évaluation soit produite par le CER local de bonne foi et avec diligence. Il est hasardeux de chercher à normaliser des délais puisque cette approche créée des attentes qui seront exigées pour l’ensemble des projets. In fine, cette prescription exerce une pression sur le personnel qui, déjà, agit souvent entre l’arbre et l’écorce.

II – Consentement général à la recherche

Le consentement général à la recherche est une idée séduisante en ceci qu’elle porte en elle les promesses d’une accélération de la recherche et de l’amélioration de la condition humaine. bous les producteurs et utilisateurs de données se font un point d’honneur de le rappeler. Bien que l’approche proposée par le GER soit nuancée, nous estimons que certains écueuils subsistent, notamment :

  1. Dans le contexte de la gestion des données de recherche et leur mise à disposition accrue découlant de la politique des organismes subventionnaires fédéraux en la matière, comment les chercheurs et les institutions seront-elles en mesure d’assurer la tracabilité de la circulation des données partagées à des tiers afin de respecter les engagements pris envers les participants? Si un relatif contrôle est possible entre le chercheur producteur et le tiers en demandant l’accès, dès que ce dernier rend aussi disponible les données en raison des exigences des éditeurs de journaux scientifiques ou des autres politiques, sommes-nous toujours en mesure de prétendre exercer une forme de contrôle? Peut-on honorer les promesses d’anonymatFootnote 6 faites aux participants? Peut-être serait-il plus juste d’informer les personnes participant à la recherche de l’incapacité des équipes de recherche à promettre quoi que ce soit en termes de contrôle ou de tracabilité et ce, de manière explicite.
  2. Dans le contexte de l’utilisation de jeux de données dans la réalisation de projet de recherche en intelligence artificielle, comment le retrait du consentement doit-il être géré? Au moment du retrait, serait-il exigé des équipes de recherche utilisant ces données de non seulement supprimer les données de la personne qui en a fait la demande, mais aussi de reprendre l’entraînement des algorithmes en excluant les données retirées?
  3. D’un point de vue plus macro s’inscrivant dans une normativité éthique plus vaste, comment cette exigence contribue-t-elle à accentuer le déplacement de la propriété privée des données de la personne vers la sphère publique? N’étant pas en mesure d’anticiper les usages futurs – et les changements en termes d’accès, de protection et d’utilisation par les gouvernements en place (cf. projet de loi 95 au Québec tentant d’assimiler les données produites par les chercheur à des actifs informationels gouvernementaux) – serait-il prudent de faire du consentement général un cas d’exception?
  4. (Lignes 214-216) Peut-on vraiment prétendre connaître l’ensemble des usages commerciaux possibles des jeux de données rendus accessibles grâce à un consentement général? Du moment que les jeux de données sont accessibles a fortiori dans l’arêne publique, ils deviennent accessibles à quiconque, peu importe leurs intentions. Cette situation ouvre la voie à une utilisation qui soit contraire aux volontés ou préférences des personnes, notamment à des fins commerciales ou aux fins de technologies à double usage susceptible de porter préjudice à des groupes de personnes (p. ex. le cas de la reconnaissance faciale des UyghursFootnote 7)

En espérant que les éléments susmentionnés contribuent à l’avancement des sciences et, surtout, à la consolidation de la confiance qu’investit la société dans les missions universitaires, je vous prie, Mesdames, Messieurs, d’agréer l’expression de mes plus cordiales salutations.

Guillaume Paré
Conseiller au Directeur de la formation et de la recherche-Directeur général adjoint
Personne chargée de la conduite responsable en recherche.

References

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